Le directeur général de l’Agence de régulation des postes et des communications électroniques (ARPCE), Louis-Marc Sakala, installé dans ses fonctions le 2 avril 2020, a répondu à nos questions dressant à l’occasion l’état des secteurs régulés et les perspectives en cours. Si le nouveau régulateur a tenté d’apporter des éclaircissements sur les questions que se posent les consommateurs des communications électroniques au quotidien, il a aussi levé les équivoques sur certains dossiers dont l’agence n’a pas mandat, sans oublier d’évoquer l’appui attendu de l’Arpce au secteur postal, notamment à la Société des postes et de l’épargne du Congo (Sopeco).
Les Dépêches de Brazzaville. Votre nomination à la tête de l’ARPCE intervient à un moment trouble, notamment avec la pandémie du coronavirus. Trois mois après votre prise de fonctions, peut-on savoir comment se comporte les marchés des postes et des communications électroniques ?
Marc Sakala : « la Covid-19 a frappé notre pays et nous avons été aussi touché dans notre domaine. La crise a eu un impact sur la communication électronique. Souvent lorsque je rencontre des personnes qui pensent que les opérateurs des téléphones mobiles ont fait beaucoup d’argent pendant le confinement, je rigole un peu car je pense que c’est de l’amalgame. L’économie a été bloquée sans compter les pertes d’emplois. Lorsqu’il y a perte d’emplois et cette crise économique les gens ne peuvent plus recharger leurs téléphones comme d’habitude. Cela entraîne également une crise dans le secteur des communications électroniques. En même temps, la crise sanitaire a encouragé une culture du numérique. Aujourd’hui, c’est peut-être nouveau dans notre pays mais nous nous rendons compte que les réunions se font de plus en plus via internet à travers des nouvelles technologies comme Zoom, WhatsApp et autres. Toutes ces nouvelles technologies qui existaient déjà sont devenues aujourd’hui des nouvelles plateformes pour pouvoir travailler et respecter la distanciation sociale.
LDB. y a-t-il une jonction entre ces technologies et la fiabilité des infrastructures du pays ?
Ces systèmes ne peuvent essentiellement marcher que s’il y a des infrastructures qui fonctionnent. S’il y a de la capacité disponible parce que les serveurs qui gèrent ces communications sont des systèmes étrangers. Beaucoup sont localisés aux Etats-Unis. Il nous faut une bonne connexion internet pour pouvoir assurer tout ce que nous faisons ici. C’est cela le contexte actuel, celui dans lequel je suis nommé à la tête de l’ARPCE.
LDB. Quelles sont à ce jour les grandes lignes de votre action dans les secteurs régulés
M.S. Les grandes actions ne peuvent être d’abord que celles de sécuriser le marché. Les communications électroniques et les postes ne sont pas mises à l’écart de l’ensemble des activités d’un pays. Non, nous sommes même au cœur des activités d’un pays parce que tout communique, tout le monde a besoin de son téléphone pour travailler et discuter et quand le pays est frappé par une crise, le secteur de la communication électronique est aussi touché. Le premier engagement qui doit être le nôtre c’est de sécuriser le marché, car beaucoup d’entreprises sont en train de licencier, des grosses entreprises sont en train de fermer alors, nous ne sommes pas à l’abri. Notre premier objectif, aujourd’hui, est de faire que les entreprises ne tombent pas en faillite mais qu’elles arrivent à traverser cette crise avec notre pays.
LDB. Vous avez clairement exprimé votre volonté de poursuivre l’œuvre entamée par votre prédécesseur ; le « changement dans la continuité » c’est bien dans cette logique que s’inscrit votre mandat. Chemin faisant, avez-vous le sentiment d’être sur la bonne voie ? Quels sont les éléments capables de témoigner votre démarche ?
M.S. La continuité dans le changement est une expression qui veut dire que nous allons améliorer en allant un peu plus loin. Je tiens à louer l’action de mon prédécesseur, monsieur Yves Castanou pour tout le travail qui a été déjà fait au niveau de l’ARPCE. Nous envisageons plutôt la poursuite de l’amélioration en continue. L’axe de notre secteur n’est pas fixé par nous. Il est surtout fixé par ce qu’on appelle les constructeurs des technologies. Les technologies avancent à une certaine vitesse et les opérateurs sont contraints de s’aligner pour pouvoir faire avancer le secteur. Les constructeurs sont en train de parler de la 5G aujourd’hui, d’autres pays sont en train de l’installer. Nous sommes obligés de s’y apprêter pour éviter d’être surpris par l’arrivée de l’opérateur. Nous poursuivrons l’idée qui a été déjà amorcée, celle de ramener le Congo parmi le top cinq en Afrique en matière de communications électroniques. Notre pays a une seule sortie en fibre optique. Nous devrons en trouver une autre afin de réaliser la vision du chef de l’Etat. Il y a également l’amélioration des conditions de travail à l’ARPCE, la concrétisation du Datacenter qui sera visible aux différentes plateformes gouvernementales.
LDB. Comme tout régulateur, l’ARPCE ne cesse de faire l’objet d’interpellations par des utilisateurs. Il semblerait que les sociétés de téléphonie mobile n’aient pas un plan tarifaire adéquat concernant certains produits. Certains consommateurs évoquent des ponctions de crédit, l’arnaque sur les comptes Mobile money et des forfaits internet aux tarifs farfelus. Avez-vous eu vent de ces plaintes ?
M.S. J’espère vraiment que les consommateurs qui nous liront ou qui nous écouteront auront des réponses à cette question. Dans les statuts ou selon la loi qui crée l’Arpce, notre structure ne fixe pas les prix. Il faut que les consommateurs puissent le savoir. Le prix d’un operateur dépend de la concurrence du marché. À un certain seuil de tarif, nous intervenons pour dire aux opérateurs que vous ne pouvez pas vendre parce que si vous dépassez, par exemple le prix de la minute à tant de franc, vous serez incapable de payer tous vos travailleurs ou vous serrez incapable de faire face à une certaine charge. Concernant les différentes arnaques, nous travaillons avec la police afin d’interpeller les malfaiteurs et leurs complices. Nous demandons à la presse ainsi qu’aux operateurs de beaucoup travailler sur la sensibilisation. Nous avons un nouveau projet que nous allons bientôt lancer qui permettra d’automatiser et fluidifier les appels des arnaqueurs. Cela permettra d’accélérer les enquêtes de police car c’est souvent nos mamans qui sont victimes. C’est pareil pour les forfaits. Souvent nous ne regardons pas les choses de la même manière que les utilisateurs car, nous ne fixons pas les prix. Nous les encadrons. Les opérateurs se battent toujours pour que les consommateurs se sentent à l’aise.
LDB. Dans le même élan, sur les réseaux sociaux des consommateurs se plaignent du traitement des plaintes chez les opérateurs de téléphonie mobile. Le régulateur que vous êtes est souvent traité de complaisant envers les opérateurs. Comment réagissez-vous à ce sujet ?
M. S. Nous pouvons être traité de complaisant sur certains faits, nous l’assumons. Mais dans bien des cas, lorsque les coûts des communications électroniques au Congo sont très bas, les opérateurs nous traitent de complaisant avec les consommateurs. Ils disent que nous faisons tout pour ramener les prix plus bas. De même, lorsque nous nous battons pour un texte de loi qui peut mettre à mal le secteur, l’Etat va nous dire le régulateur est complaisant. En réalité nous ne le sommes pas. Nous faisons respecter le travail qui nous a été demandé. Nous avons des plaintes, nous intervenons sur d’autres et non sur tout. Par exemple, nous avons reçu récemment une plainte de ceux qui travaillent sur le mobile money et qui ont vu leur commission baissée chez MTN. Nous n’avons pas mandat d’intervenir sur les contrats entre MTN et ces personnes. Ce sont des contrats internes. Il y a beaucoup de plaintes. Nous avons un numéro le 5050 qui reçoit les plaintes et qui les traite. Nous allons travailler à l’amélioration du traitement des plaintes avec les opérateurs. Il n’y a pas matière à complaisance mais une régulation qui se veut impartiale pour garantir l’équilibre du marché.
LDB. Dans le cadre des transferts d’argent, les marchands de « Mobile money » sont mécontents de la baisse des commissions depuis quelque temps. Les frais de commissions ramenés à 0,4% au lieu de 1% comme auparavant. Le retrait est passé de 1% à 0,8% tandis que le dépôt de 0,5% à 0,4%. Quelle est la responsabilité de l’ARPCE dans ce processus ?
M.S. Dans ce processus, l’engagement entre MTN et un revendeur ne concerne pas l’ARPCE. L’agence n’intervient pas dans la gestion des contrats concernant le fonctionnement des entreprises qui sont dans notre secteur. Nous avons reçu un courrier des marchands de Mobile money au Congo et nous avons demandé des explications à MTN Congo. N’oubliez pas que l’argent électronique concerne le ministère des Finances parce que ce service intègre le secteur des banques.
LDB. Plusieurs consommateurs jugent encore cher Internet au Congo, alors que quelques opérations de benchmarking réalisées en Afrique ne placent pas le pays au bas du tableau. Comment appréciez-vous le coût de l’Internet, surtout mobile, au Congo?
M.S. Le calcul tient compte de l’achat de l’internet sur le marché international, de la capacité qui arrive, de la maintenance de la station d’atterrage à Matombi, de Congo Telecom, du coût de la fibre optique et bien d’autres aspects. Le dernier benchmarking plaçait le Congo au niveau du treizième pays d’Afrique où le coût de l’internet est le moins cher. Pour réduire le coût de l’internet, il est important d’avoir plusieurs points d’entrée et de bonnes infrastructures de transport d’internet. Je demande à tous les consommateurs qui se plaignent du coût élevé du giga de faire un tour dans les pays voisins comme le Gabon, la RDC, la Guinée ou l’Angola pour se rendre compte que le coût de l’internet n’est pas cher au Congo. Il faut noter que le coût d’internet dépend aussi de la consommation car lorsqu’une minorité des personnes consomme internet, le prix risque de paraître cher puisque c’est cette minorité qui subit cette charge. La majorité a des téléphones qui n’utilisent pas internet. Nous devrons aussi travailler dans la vulgarisation des smartphones.
LDB. A quand une rencontre avec les opérateurs et les associations de consommateurs pour tenter d’apporter la lumière sur des sujets parfois mal saisis ?
Nous sommes actuellement dans un contexte dominé par le coronavirus et nous nous alignons toujours dans la continuité en travaillant avec les médias et les associations des consommateurs pour permettre à chacun d’avoir une bonne information. Nous ne ferons pas de l’autarcie. C’est un marché et tous les acteurs doivent savoir les règles de jeu pour faciliter l’émergence de notre secteur.
LDB : Quel est votre regard sur le secteur postal, notamment sur la Société des postes et de l’épargne du Congo ?
M.S. Nous avons reçu la directrice de la Sopeco et nous regarderons ensemble pour tenter de relever ce secteur parce que la poste a connu un choc lors de l’arrivée de l’internet. Maintenant tout se fait de façon électronique. C’est ce que nous avons demandé aux entreprises comme Maouéné ou Charden Farell de se réaménager parce qu’on ne peut pas arrêter le changement mais il faut s’adapter au changement et l’évolution du monde. Pour réaliser tout cela, il faut un accompagnement financier.
Source : adiac-congo