Partie 1 : Le régulateur
Dans une ancienne vie, cette chronique aurait sans doute fait l’objet d’une vidéo, plus simple à produire, à suivre, plus rapide et plus émotive. Mais qui la suivrait aujourd’hui à l’heure du 1100 francs CFA pour 600 Mo ? Revenons donc aux habitudes de l’ancêtre des médias sociaux, lives et vidéos, écrivons…
Commençons par poser le décor :
Sur fond de crise économique depuis quelques années, avec le baril de pétrole qui redécolle tant bien que mal, le bon [peuple] a vu son porte-monnaie s’amincir d’année en année. Ne parlons pas des nombreuses tentatives du FMI, institution d’outre-mer, à remettre, le Congo ce navire, à flot. Mais ça, c’est une autre histoire. Ce qui nous intéresse, c’est comment dans ces conditions déjà si difficiles, nous avons pu arriver à une inflation de près de 400% du prix des forfaits téléphoniques ?
Pour la petite histoire, en août 2017, MTN Congo, une société qui fait rire jaune plusieurs, lance une promotion nommée Lipanda. Le Gigaoctet est à 1000 francs CFA, valable pour une journée. C’est la folie, tout le monde veut en profiter. Airtel, qui voit rouge avec cette promotion, réplique de son côté avec une Giga Pomba promotion. La guerre est lancée ! Pendant une année, l’un comme l’autre matraque le marché des promotions. Seul problème : le prix du Mégaoctet se retrouve au plus bas, c’est-à-dire moins d’1 FCFA/Mo ! Le calcul est en effet simple : si on achète 1024 Mo (1G) à 1000 francs CFA, ça veut dire que le méga vaut 0.97 francs CFA. Tout le monde est content, le bon [peuple] se réjouit, on peut accéder à Internet à des coûts relativement acceptables.
On me dira qu’une promotion n’est faite que pour un temps, mais alors comment deux compagnies tiennent pendant près d’une année en perdant de l’argent au nez et à la barbe du régulateur ? Et surtout pourquoi lancer promotion après promotion ? C’est quand même fou !
Et c’est là que ça se complique
̶A̶ ̶c̶e̶ ̶p̶r̶i̶x̶,̶ ̶i̶l̶ ̶d̶e̶v̶i̶e̶n̶t̶ ̶t̶r̶è̶s̶ ̶d̶i̶f̶f̶i̶c̶i̶l̶e̶ ̶à̶ ̶c̶e̶s̶ ̶o̶p̶é̶r̶a̶t̶e̶u̶r̶s̶ ̶d̶e̶ ̶s̶e̶ ̶m̶a̶i̶n̶t̶e̶n̶i̶r̶. Ne nous mentons pas, les marges des télécoms continuent d’exister, et tout le monde se porte bien….sauf les caisses de l’Etat ! Et oui, il fallait s’y attendre. Entre le pétrole qui refuse de s’enflammer, les startups qui ne startent pas vraiment et les entreprises qui ferment à tour de bras, il faut bien trouver où sont les poules aux œufs d’or. Au Congo, il n’y en a que trois à mon sens : le secteur pétrolier, le secteur des télécoms et le secteur bancaire. (Est-ce que les services de ces deux autres secteurs vont bientôt être touchés à leurs tours ? Wait and see).
C’est à ce moment que deux choses rentrent en jeu : la fameuse loi des finances 2018 et les prix planchers, fixés par le…régulateur.
La loi des finances reste acceptable, de toutes les façons tout le monde va y passer : de la pharmacie, aux assurances en passant par les télécoms. Ce qui tue le jeu, ce sont les prix planchers fixé par le régulateur. Le fameux méga à 0.97 francs CFA se voit dopé et monte à 4 francs CFA, soit 3.03 francs de plus, sans prévenir. Et boom ! Première rafale qui en met une bonne partie à terre. Quand ensuite, il faut ajouter près de 100 francs de TVA par Gigaoctet, le bon [peuple] se voit assassiné.
Le coup fatal est porté, malgré elle, par la brute : MTN et Airtel, un monstre bicéphale qui fait le sale boulot ; massacre à la tronçonneuse, chambres à gaz, extermination à la machette, appelez ça comme vous voulez, c’est un vrai génocide des portefeuilles qui essayaient tant bien que mal de survivre.
Quelles sont les conséquences de tout ceci ?
En dehors du fait qu’on pourrait retrouver désormais « Forfait Internet Mobile » parmi les biens à apporter pour la dot d’une femme, les conséquences terribles de tout ceci se font déjà sentir, comme un cadavre qu’on aurait abandonné au bord de la route à la merci des charognards. Pour ma part, voici celles qui sont les plus catastrophiques :
- L’économie numérique va mourir : autant le dire tout de suite, ça va être moche ! Il était déjà difficile de créer un écosystème numérique dans le pays. Là, ça va tout simplement devenir mission impossible ! Si les gens ne peuvent plus aller sur Internet, alors Internet n’a plus de raison d’exister. A moins que nous ne nous mettions tous à créer des applications ussd et sms et abandonnions Youtube, Instagram, Facebook et cie, qui sont devenus des médias à part entière, ça va être la catastrophe. Oubliez Android, pire encore IOS, les mises à jour vont vous coûter un rein ou un œil ! Sans une vraie politique de la fibre, les entreprises numériques ne vont pas se développer, ça ne s’est pas fait ailleurs, ça ne sera pas ici (mais fichtre que fait Congo Télécom ?) et sans une vraie politique des données mobiles au niveau du pays, les consommateurs ne verront jamais les produits desdites entreprises. L’équation est alors simple : Entreprises – Clients = Clé sous la porte. Sans entreprises numériques, l’économie numérique n’existe pas
- Les télécoms vont s’asphyxier : oui, on va continuer malgré nous à consommer mais avec une GROSSE modération (Internet est devenu un besoin universel qui coûte cher au Congo). Plus question de se jeter sur la première vidéo YouTube qui nous intéresse ou sur ces 30 stories Whatsapp, c’est fini ! On va tous être lite et bloquer tous ceux qui nous envoient des gros fichiers pour on ne sait quelle raison. L’opération « batela ba méga » est lancée. Moins on consomme, moins on paie, moins on paie, moins les télécoms ont des revenus. J’ai toujours été de ceux qui pensent qu’il vaut mieux avoir 100 francs de 10 000 personnes que 10 000 francs de 10 personnes.
- Les créateurs de contenus vont disparaitre : s’il était difficile de les trouver, ça va être impossible, en tout cas, pour Internet. Une aubaine pour Télé Congo et les chaines locales de la place. Sachant que la vidéo est le format le plus répandu sur Internet, le contenu local ne sera vu qu’à l’extérieur du pays ou par quelques privilégiés.
Et si ces prévisions sont exactes, il risque alors d’y avoir des conséquences encore plus néfastes tel que le blocage d’appels Whatsapp ou Messengers sur l’étendue du territoire, puisque le bon [peuple] va se réfugier dans ce qu’il y a de moins cher. On risque de se retrouver à envoyer des missives. Je n’ai jamais eu autant envie de me tromper. Mais soyons réalistes, ces prix planchers, spécialement celui sur le mégaoctet ne vont pas aider les télécoms à se développer, au contraire ça va desservir l’innovation et ralentir le développement d’un vrai business model basé sur les données mobiles et non pas la voix.
Mais le plus révoltant, ce sont les questions que je me pose. Pouvions-nous faire autrement ? Quelles auraient été les mesures à prendre ? Est-ce sur les télécoms qu’il faut taper ? Autant de questions qui emplissent mon esprit et auxquelles j’essaie de répondre tous les jours. Vous voulez savoir comment le bon survivrait à la brute et au régulateur réunis ? La suite dans la prochaine chronique, nous parlerons de la brute.
Ecrit par Nelson Cishugi