La République démocratique du Congo abrite 12 hubs et incubateurs, plus de 300 start-ups et porteurs de projet tech. Des chiffres qui traduisent une communauté tech dynamique. Cependant, selon les rapports de plusieurs institutions telles que WeeTracker ou Partech, le pays figurent parmi les destinations de la sous-région qui n’attirent pas beaucoup d’investissements. Dans cet entretien croisé accordé à Agence Ecofin, les Congolais Noel K. Tshiani, fondateur de Congo Business Network ; Bonny Maya, directeur général de Tinda et eMart.cd ; Sidonie Latere, fondatrice de Kobo Hub ; et Thony Ngumbu, fondateur de Mwinda Technologies, identifient les obstacles au rayonnement national et international de l’écosystème tech innovant de la République démocratique du Congo et soulignent des solutions pour surmonter cette situation.
Agence Ecofin : En tant que fondateur de Congo Business Network, quelles sont les défis auxquels les entrepreneurs tech congolais sont confrontés dans l’innovation, l’entrepreneuriat technologique et qu’ils vous confient généralement ?
Noel K. Tshiani : J’ai eu la chance de vivre aux États-Unis pendant près de 24 ans, et j’ai observé et vécu l’écosystème tech des principales zones métropolitaines d’Amérique telles que à New York, à Washington, à Chicago et Miami. Lorsque je compare l’écosystème tech américain à celui du Congo, je vois clairement une lacune énorme.
La lenteur et le coût énorme de la connexion Internet à Kinshasa est, selon moi, un défi majeur pour les entrepreneurs tech qui doivent apprendre constamment sur Internet pour développer des compétences et lancer des solutions tech pouvant être utilisés par le marché de masse. Une personne ne peut pas innover sans acquérir de nouvelles informations et sans développer de nouvelles compétences.
Un autre défi provient du fait que l’écosystème start-up au Congo n’en est qu’à ses débuts. Les plateformes nécessaires à la construction de l’écosystème tech telles que les incubateurs, les accélérateurs, les fonds d’investissement, les réseaux de Business Angels et les événements tech majeurs, n’en sont qu’au début de leur création et de leur fonctionnement. Ce sont les principaux défis que les entrepreneurs tech congolais me disent devoir relever dans leurs activités au quotidien à travers le pays.
Agence Ecofin : Il y a pourtant de belles choses qui sont faites dans divers secteurs, y compris l’éducation, la santé, les finances et les informations. Qu’est-ce qui explique cependant, selon vous, la relative invisibilité de la scène tech de la République démocratique du Congo en Afrique de l’Ouest où l’on entend plus parler du Nigeria, Ghana, Sénégal, Mali ?
Noel K. Tshiani : L’écosystème start-up est plus développé dans les pays anglophones d’Afrique que dans les pays francophones. Il en résulte une grande visibilité pour les entrepreneurs, notamment au Nigeria, car de nombreux investisseurs s’y rendent en raison de l’utilisation de l’anglais comme la langue officielle. Au Nigeria, des événements tech ont lieu régulièrement, donnant ainsi aux entrepreneurs la possibilité de s’exprimer et de se faire connaître. La visibilité n’est pas facile à obtenir là où il n’y a pas d’événements business et où les entrepreneurs ne s’expriment pas dans les médias par des interviews, des articles et des tribunes.
Depuis la création de Congo Business Network en octobre 2018, nous avons beaucoup travaillé pour mettre la lumière sur les entrepreneurs tech congolais. Le réseau a accompagné ces entrepreneurs à Afrobytes à Paris le 15 mai 2019. Nous nous sommes également rendus à Viva Technology et avons aussi participé à Africa Fintech Summit à Addis-Abeba, en Éthiopie, le 21 novembre 2019.
Nous avons organisé le premier événement business en personne à Kinshasa le 26 juillet 2019 pour réunir les entrepreneurs tech, les incubateurs, les sociétés de télécommunications et les banques afin de discuter des priorités qui doivent être entreprises par les secteurs public et privé pour construire un écosystème tech congolais qui favorise la création et la réussite de start-ups. L’écosystème tech congolais est en train de progresser petit à petit. Nous sommes convaincus que, tant que nous continuerons à travailler dur pour construire des plateformes permettant de faire émerger un écosystème tech dynamique a Kinshasa, nous serons plus avancés l’année prochaine.
Agence Ecofin : Quel regard portez-vous sur l’écosystème tech de la République démocratique Congo ?
Sidonie Latere : L’écosystème tech congolais est encore en train de faire ses pas. Nous avons encore beaucoup de chemin à faire. Cependant, nous avons vu ces 3 dernières années un boom de solutions tech, spécialement dans les fintech, l’edtech et le commerce en ligne.
Il y a beaucoup d’initiatives individuelles mais qui n’entrent pas encore dans une cohésion massive. C’est en cela que je trouve une faiblesse à notre écosystème locale. Nos solutions répondent-elles à un réel besoin ? Ont-elles été acceptées et promues par les acteurs économiques locaux ? Trouvent-elles des supports de soutien et des supports d’accélération ?
Le vrai problème est que notre écosystème fonctionne mal car un écosystème sous-entend que les acteurs de cet environnement travaillent et échangent ensemble. Cela inclut notamment une cohésion avec l’État, le public, le secteur privé et les banques. Ce qui n’est pas encore répandue localement. Un écosystème faible tue la créativité et l’efficacité.
Agence Ecofin : En quoi le réseautage que prône Congo Business Network est bénéfique pour l’écosystème tech local ?
Sidonie Latere : Un écosystème sous-entend en réseau, en retour d’expérience et en échange d’expertise. Congo Business Network réunit des entrepreneurs de différents secteurs qui ont un désir profond de faire avancer l’entrepreneuriat en République démocratique du Congo.
Nous y trouvons donc des opportunités de se faire connaître dans le monde des affaires et de faire connaître nos entreprises aux clients, aux partenaires d’affaires et aux investisseurs. Lorsque le réseau porte et adopte votre projet ou produit, vous y trouvez déjà des potentiels clients, et ensuite une force en visibilité. Personne ne peut réussir dans l’entrepreneuriat seul, on a besoin d’un réseau !
Agence Ecofin : Quels actions sont déjà mises en œuvre au niveau du Congo pour booster l’écosystème tech ?
Thony Ngumbu : Booster l’écosystème tech présuppose qu’il y a un cadre solide de collaboration qui permette aux différents acteurs tech de joindre leurs efforts pour créer des solutions cohérentes et pertinentes.
Lors de la création de Congo Business Network, il n’y avait pas un cadre de collaboration qui regroupait tous les acteurs tech à travers la RDC. Donc, avant de booster l’écosystème, il fallait commencer par clairement identifier les différents acteurs tech à travers toute l’étendue du territoire congolais, y compris aussi dans la diaspora. Ensuite, le réseau a dû définir une proposition de valeur qui permette l’adhésion de plusieurs acteurs tech et qui cible des problèmes communs dans tous les secteurs de l’économie.
Bien que le travail d’identification des différents acteurs tech continue, les membres du réseau ont identifiés le manque de visibilité dans les médias et le manque de financement comme étant deux problèmes majeurs dans le pays. Sur ce, le réseau booste l’écosystème en créant beaucoup de visibilité pour les acteurs tech congolais à l’intérieur du pays tout comme à l’extérieur. Congo Business Network a établi des relations avec les plus grands médias pour permettre aux acteurs tech d’exposer leurs solutions innovantes au grand public, tout comme aux investisseurs. Le réseau a aussi organisé plusieurs événements business en personne et en ligne pour mettre en avant les différents acteurs tech congolais.
En assistant les différents acteurs tech à devenir individuellement plus fort, tout en travaillant dans un cadre de collaboration solide, Congo Business Network contribue de manière tangible à booster l’écosystème tech congolais.
Agence Ecofin : Le président de la République a fait le numérique un enjeu de développement. Quelles devraient être les priorités du gouvernement pour soutenir le développement de l’écosystème tech local ?
Thony Ngumbu : Il faut commencer par féliciter l’initiative du Plan National du Numérique (PNN) qui avait été prise par le Président de la République Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo. Avant cette initiative, le secteur des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) n’avait pas de cadre stratégique actualisé.
Le PNN ayant été rédigé, le gouvernement doit maintenant le mettre en pratique pour soutenir le développement de l’écosystème tech local. Particulièrement, en ce qui concerne le développement des infrastructures et de la régulation. Les acteurs de l’écosystème tech congolais se battent pour créer des contenus et des solutions adaptés aux réalités du pays. Cependant, l’écosystème aura du mal à décoller sans un cadre légal adapté qui inciterait plus d’investissements dans la tech, et une amélioration des infrastructures qui faciliterai une croissance du taux de pénétration d’Internet. L’écosystème tech congolais contient plusieurs acteurs talentueux avec de réelles solutions tech.
Agence Ecofin : Pour des populations qui peinent encore à accéder à Internet (19 % de taux de pénétration selon Hootsuite et We Are Social), quel est l’intérêt d’un écosystème tech dont elles sont grandement exclues ?
Bonny Maya : Un écosystème tech apporte, entre autre, une digitalisation des services, des produits et de contenu, par les entreprises qui le compose et sa structure.
Cette digitalisation change plusieurs comportements de société en développant de nouvelles façons de se déplacer, de commander, de s’approvisionner, d’étudier, de communiquer, de se soigner et de se développer. Ces changements de comportement ont le bénéfice de nous faire économiser du temps, de l’énergie, de l’argent, de tracas et d’apporter plus d’efficacité à nos tâches quotidiennes.
Agence Ecofin : Au regard de la situation économique et humaine actuelle de la RDC, dans quels secteurs l’écosystème tech pourrait être décisif sur le développement national ?
Bonny Maya : Une très grande partie de la population de la RDC connaît encore des difficultés considérables dans l’accès à l’énergie constante, à l’eau potable, à des soins de santé de qualité, à une alimentation équilibrée, c’est-à-dire les besoins primaires.
Au regard de cette situation, et pour que l’écosystème tech soit décisif sur le développement national, il faudrait réfléchir et fournir des solutions tech qui répondent et remplissent, dans un premier temps, ces besoins primaires.
Propos recueillis par Muriel Edjo pour Agence Ecofin.