Congo Business Network et 10 000 Codeurs se sont associés pour travailler sur des projets communs afin de booster l’émergence de l’écosystème tech congolais. Ces acteurs sont d’avis que l’émergence de l’écosystème tech congolais exige un niveau élevé de l’expertise dans le numérique.
Zoom Eco reçoit, dans un entretien exclusif, Noel K. Tshiani, fondateur de Congo Business Network ; Douglas Mbiandou, président de 10 000 Codeurs ; Bonny Maya, directeur général de Tinda et eMart.cd ; et Nelly Chatue-Diop, responsable partenariat chez 10 000 Codeurs, pour échanger sur cet accord de partenariat ambitieux.
Zoom Eco : Congo Business Network et 10 000 Codeurs ont signé un accord de partenariat pour travailler sur des projets communs afin de booster l’écosystème tech congolais, que cherchez-vous à accomplir à travers ce partenariat ?
Noel K. Tshiani : La signature de l’accord de partenariat a un objectif spécifique : renforcer l’expertise dans la tech en République démocratique du Congo en se connectant à des professionnels expérimentés au sein de 10 000 Codeurs dans les secteurs tels que le développement des applications mobiles et des sites Internet, l’intelligence artificielle et la blockchain.
La tech est le moteur de l’innovation dans les pays développés en Europe et en Amérique. C’est encore plus vrai en Afrique, où la plupart des pays sont en voie de développement. En développant une expertise pointue dans la tech, le gaspillage et les inefficacités seront éliminés, ce qui se traduira par une productivité et une croissance économique accrue dans l’avenir. La tech est également un outil efficace lutter contre la corruption dans le secteur public.
Zoom Eco : Vous êtes arrivés à Washington, aux États-Unis d’Amérique en 1996, qu’avez-vous appris là-bas 24 ans plus tard que vous pouvez utiliser pour contribuer au développement de l’écosystème tech à Kinshasa ?
Noel K. Tshiani : Les États-Unis d’Amérique sont une superpuissance économique car la tech est au centre de la compétitivité économique. Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft sont des grandes entreprises internationales parce qu’elles ont l’expertise dans des nombreux domaines de la tech. L’accès à Internet haut débit à un coût raisonnable est un avantage concurrentiel majeur pour l’économie américaine. Tout investissement substantiel que le Congo peut faire dans la construction d’infrastructures Internet haut débit est un grand pas en avant.
J’ai également appris que l’écosystème start-up est un indicateur important de la capacité d’innover. Et un environnement juridique qui favorise la création de start-ups devrait être encouragé et adopté par le secteur public congolais. Sans les start-ups, l’Amérique ne pourrait pas avoir de grandes entreprises tech internationales que nous connaissons aujourd’hui telles que Facebook, WhatsApp, LinkedIn et Twitter.
Zoom Eco : Depuis la création de Congo Business Network en 2018, qu’avez-vous accompli dans l’écosystème tech en République démocratique du Congo ?
Noel K. Tshiani : Congo Business Network a été créé avec la mission d’identifier, de connecter et d’équiper les entrepreneurs congolais avec les compétences nécessaires pour réussir dans le monde des affaires quand il s’agit de trouver des clients, de gagner en visibilité dans les médias et de rencontrer des investisseurs privés et institutionnels dans la diaspora et à Kinshasa.
Nous avons fait beaucoup de progrès sur tous ces points, et nous avons réussi à avoir les entrepreneurs tech majeurs de la RDC comme membres du réseau. J’ai voyagé avec ces entrepreneurs tech à Paris, à Addis-Abeba et à Kinshasa pour participer aux événements tech majeurs, où nous avons gagné en visibilité énorme dans les médias internationaux, trouvé des partenaires d’affaires et rencontré des investisseurs.
Congo Business Network a beaucoup de visibilité dans la diaspora et au Congo. Aujourd’hui, nous avons 16 250 abonnés sur LinkedIn, où nous publions régulièrement afin de donner de la visibilité aux parcours, aux expertises et aux solutions des entrepreneurs congolais. Et nous continuons à travailler pour connecter les entrepreneurs aux investisseurs qui peuvent investir dans les start-ups prometteuses afin de booster la croissance et la réussite des entreprises à Kinshasa.
Zoom Eco : Quelle est la mission de 10 000 Codeurs et quelles sont vos principales réalisations jusqu’à présent dans la tech dans d’autres pays africains ?
Douglas Mbiandou : L’association 10 000 Codeurs fédère un réseau d’experts, de centres de formation et de partenaires stratégiques afin de sensibiliser, former et insérer de 2015 à 2025 plus de 10 000 jeunes (18-35 ans) du continent africain dans les métiers du numérique, en vue d’avoir une Afrique poumon de l’industrie mondiale du numérique fort de son dividende démographique.
À ce jour, 300 jeunes ont été accompagnés au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Congo-Brazzaville et en Guinée vers le métier de Développeur d’applications Web et Mobile.
Et 76 % des bénéficiaires ayant terminé le cursus de formation ont été insérés dans le monde du travail. À partir de 10000codeurs.com, des nombreux témoignages attestent d’une approche pédagogique et technique répondant aux besoins des entreprises. Citons le cas de Nabounou Diabi, aujourd’hui Développeuse Web et Mobile et gérante de la filiale Ivoirienne d’une société canadienne. Aussi le cas Yann Banvi, aujourd’hui l’un des meilleurs Développeurs Mobiles au Congo-Brazzaville. Enfin, Moctar Tize au Cameroun fait partie de ceux qui ont créé une société juste après la formation.
Zoom Eco : Quels sont vos domaines d’expertise au sein des 10 000 Codeurs et comment votre organisation peut-elle contribuer à l’émergence de l’écosystème tech à Kinshasa sur la base de votre partenariat avec Congo Business Network ?
Douglas Mbiandou : Congo Business Network est un interlocuteur de premier plan pour mettre notre réseau des entrepreneurs du numérique au service de l’économie congolaise.
Noel K. Tshiani a su fédérer à travers ce réseau d’affaires international les start-ups tech à fort potentiel de la scène congolaise. Ce réseau cultive le goût de l’excellence et souhaite comme nous répondre affirmativement à des questions du type : « Est-il possible aujourd’hui en République Démocratique du Congo de créer une application de commerce électronique ayant la qualité de Amazon où de Alibaba ? » Ou encore, « Est-il possible de créer et exploiter dans le secteur du transport une applications mobile de mise en contact d’utilisateurs avec des conducteurs ayant la qualité de Uber ? »
Si pour cette première année de collaboration nous privilégions le renforcement de l’expertise locale dans le développement d’applications Web et mobile, nos experts (ayant en moyenne 14 ans d’expérience professionnelle) ont hâte de partager avec l’écosystème tech congolais leur expérience dans les métiers du test, de la cybersécurité, de la gestion de projets agiles, de l’expérience utilisateur (UX), du marketing digital, sans oublier les technologies du futur telles que la blockchain, l’intelligence artificielle, l’Internet des objets, la big data, les drones et la réalité augmentée.
10 000 Codeurs veut contribuer à l’émergence d’entreprises tech congolaises capables de concevoir, développer, déployer, maintenir et faire évoluer des solutions numériques bénéficiant des nouvelles technologies du futur. Des solutions répondant aux besoins du marché local comme du marché international.
Enfin, l’appui de Congo Business Network sera un atout pour l’insertion professionnelle des bénéficiaires 10 000 Codeurs pour lesquels nous allons mobiliser des financements en vue de leur formation pratique de 6 mois complétée par 3 mois de stage en entreprise). Les stages seront déployés dans les entreprises du réseau.
Zoom Eco : Où se trouve l’écosystème tech le plus développé aujourd’hui en Afrique, et quels conseils les Congolais peuvent-ils tirer de votre longue expérience dans le numérique en Europe ?
Douglas Mbiandou : Les écosystèmes tech les plus développés se trouvent dans les zones pour lesquelles l’Etat a pris conscience que l’économie de la connaissance et l’innovation sont des vecteurs de croissance économique. Citons le cas du Rwanda où l’Etat a fait du KLab (initiative privée) un centre d’innovation national.
Notre expérience du terrain est en zone francophone : au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Congo-Brazzaville et en Guinée. Malgré l’engouement que constitue le numérique pour la jeunesse, nous avons constaté d’une part un morcellement des écosystèmes liés à une difficulté des acteurs locaux à travailler ensemble, d’autre part une faible expertise technique.
L’esprit de solidarité et de dépendance mutuelle (Ubuntu) est pourtant caractéristique du continent. L’avenir de 10 000 Codeurs au Congo dépendra de notre capacité de respecter et se nourrir de la richesse des acteurs congolais, autant que de sa capacité à apporter le fruit de l’expertise de ses experts à l’écosystème tech congolais. La qualité de notre relation avec Congo Business Network s’inscrit dans cette approche du respect mutuel et croissance partagée.
Zoom Eco : Vous êtes un entrepreneur tech majeur dans les secteurs du commerce en ligne et de la logistique. Selon vous, quels partenariats les entrepreneurs congolais devraient-ils développer avec des entrepreneurs tech d’autres pays africains ?
Bonny Maya : Certes, les répliques de technologies ne constituent, en aucune manière, des garanties de succès. Je pense tout de même que les entrepreneurs congolais ont tout à gagner à développer des partenariats pour de raisons d’échanges de bonnes pratiques, de partage des technologies, de carnet d’adresses ou même organiser des missions des collaborateurs pour le renforcement de capacité auprès des entreprises tech partenaires exerçant dans d’autres pays africains ou en dehors du continent.
Ces petits mouvements des collaborateurs influenceront, à toutes fins utiles, des changements probables des « mindset » et des pratiques au sein même de l’entreprise. Ce qui, d’une certaine manière, pourrait contribuer à améliorer nos « track records » ou même nos chiffres d’affaires.
Zoom Eco : Vous avez une éducation universitaire en informatique et une expérience professionnelle en tant que Développeur Web. Quelle est votre évaluation du niveau d’expertise dans la tech à Kinshasa, et comment peut-il être relevé ?
Bonny Maya : La RDC regorge à ce jour plusieurs Développeurs qualifiés et maîtrisant diverses technologies. L’un de points principaux à relever est l’organisation. Les notions de gestion de projet, de gestion et de respect de délais, de gestion d’équipe et de coordination doivent être renforcées par des formations haut de gamme. Cela permettra également de faire une mise à jour conséquente dans la qualité de nos réalisations pour les jours à venir.
Zoom Eco : Vous êtes membre de Congo Business Network depuis le début de la création du réseau. Selon vous, quel est l’avantage majeur de votre appartenance au réseau, et comment a-t-il boosté votre business ?
Bonny Maya : Le réseau nous a permis d’échanger et de conclure des partenariats avec des profils d’experts et d’entreprises congolaises et étrangères sur des sujets assez importants pour notre business.
Avec les voyages initiés et organisés à Afrobytes, Viva Technology, Congo Na Paris, des événements business en ligne et en physique à Kinshasa, mais aussi les outils d’échanges internes entre membres, nous avons pu développer notre propre réseau des partenaires et clients pour notre entreprise. Notre appartenance au réseau est donc profitable pour nous.
Zoom Eco : Quelles sont vos principales responsabilités au sein de 10 000 Codeurs et qu’avez-vous appris en travaillant avec les femmes dans la tech dans d’autres pays africains ?
Nelly Chatue-Diop : Je suis au Conseil d’Administration de 10 000 Codeurs, et je suis aussi en charge de la spécialisation Blockchain. À ce titre, je promeus la sensibilisation de nos jeunes à cette innovation technologique et leur apporte des pistes de réflexions et des outils pour s’en emparer afin de solutionner les problèmes locaux.
Les femmes dans la tech ont besoin de modèles, c’est le cas partout dans le monde mais encore plus prégnant en Afrique. Elles sont dynamiques, entrepreneuriales, créatives et ont juste besoin qu’on les aide à prendre conscience de leur potentiel et à démystifier la tech.
Les différents métiers de la tech sont aussi encore fortement méconnus. Les spécialités de Développeurs Web et Mobile leur font un peu peur, et elles sont moins familières avec les spécialités comme l’UX, le test et l’analyse de données.
Zoom Eco : L’Afrique a une population de près de 1,3 milliard de personnes, et les femmes représentent au moins 50 % de la population dans presque tous les pays africains. Mais il y a très peu de femmes dans la tech, comment cette situation va-t-elle changer ?
Nelly Chatue-Diop : Comme je l’expliquais précédemment, cela passe d’abord par des modèles. Au sein de 10 000 Codeurs, nous avons un certain nombre de femmes expertes extraordinaires : Estelle Bilson – Experte Test, Nour Bouakline – Experte Digital Marketing, et nous avons aussi des alumni formidables comme Nabounou Diabi (cohorte 2017 en Côte d’ivoire) qui sont toujours prêtes à à accompagner les jeunes filles et les femmes du continent à embrasser sans complexe ce monde de la tech.
Ensuite, il faut que l’on construise nos écosystèmes tech de manière inclusive en s’’astreignant à l’atteinte d’objectifs ambitieux en terme de représentativité de femmes. Ceci pas seulement dans un objectif d’équité sociétale et sociale mais parce que cela sera un facteur différenciant majeur pour nos start-ups dans un univers de la tech qui se veut global.
Enfin, il faut que nous soyons vigilants à la rétention de peu de femmes que nous avons déjà dans la tech africaine. L’environnement dominant masculin ne doit pas étouffer leurs voix « dissonances » mais au bien contraire célébrer et valoriser la diversité de points de vue qu’elles apportent car cette diversité est porteuse d’innovation et donc de création de valeur.
Zoom Eco : Quelle devrait être la priorité pour le développement de la tech en Afrique, et quels conseils donneriez-vous aux femmes congolaises qui veulent se lancer dans le numérique ?
Nelly Chatue-Diop : La priorité pour le développement de la tech en Afrique commence par l’éducation et l’apprentissage des bases du numériques à la population. Montrer que le monde des possibles grâce à la tech ne s’arrête pas aux réseaux sociaux si prisés par nos jeunes et nos moins jeunes. Aider nos mamans vendant dans les marchés à comprendre comment des applications toutes simples peuvent faciliter au quotidien la gestion de leur trésorerie, de leurs commandes et encours clients, et j’en passe, et ce n’est pas le seul cas d’usage !
Pour les les plus appétents à embrasser une carrière dans la tech, prendre conscience que savoir développer dans un langage informatique est un début mais qu’il faut à cela ajouter une obsession de mettre ce code au service de la résolution d’un problème rencontré par les populations ainsi que s’astreindre à un standard de qualité du même acabit que s’ils étaient à la Silicon Valley.
A mes soeurs congolaises enfin, j’aimerais dire juste un mot « Oser ! » Vous serez émerveillées par ce monde de la tech qui peut vous apporter au delà de la sécurité financière – grâce à des spécialisations prisées au niveau mondiale – une réelle gratification en terme d’impact positif de votre travail dans la société.
Source : Zoom Eco.